“ histoire ”
Ceux qui ont une foi excessive dans leurs idées ne sont pas bien armés pour faire des découvertes.
Son père travaillait dans le bâtiment, sa mère dans une boulangerie. Il avait grandi dans un milieu de classe moyenne, appréciant son existence mais désireux d'aller au-delà des frontières. Tout petit déjà il n'était que rarement à l’intérieur, comme la plupart des enfants du nord, et l'adolescence n'y avait rien changé. Très vite il avait voulu changer d'air. Commençant par les escapades au grand air, il avait enchainé les randonnées, sac à dos bien accroché et bottes aux pieds foulant la terre. Mais ce ne fut pas assez. Quand le reste des jeunes travaillait entre les rayons de supermarché, il était déjà employé par une agence de tourisme durant son temps libre et les vacances scolaires. Il ne faisait pas grand-chose au tout début, se contentait de répondre au téléphone et de préparer l'équipement nécessaire. Cela ne lui plaisait guère mais sa patience paya. Au bout d'un an, on l'autorisa à assister les guides directement sur le terrain.
- Pourquoi tu ne trouverais pas un emploi plus conventionnel?
Son père pouvait comprendre l'appel des vastes étendues sauvages mais il aurait préféré que son fils ne s'implique pas tant dans cette existence. Qu'il se cantonne à un métier commun. Ölver atteignait la majorité et il ne semblait avoir de plan d'études ou d'apprentissage particulier. Sa femme elle s'inquiétait du danger. Travailler derrière un bureau était certes moins exaltant mais tellement plus rassurant.
- Tu dis que tu veux explorer mais il ne reste rien à explorer mon fils.
Mais même les arguments moqueurs n'eurent aucun effet.
Ce fut lors d'une année à l'étranger financé par son lycée qu'il fila en Amérique. L'un de ses professeurs était comme lui un passionné et ce fut grâce à lui qu'il entendit pour la toute première fois parler de James McAllister. Le jeune homme avait su pour les disparus en Egypte mais ce gars-là semblait en savoir un peu plus. Du haut de ses dix-sept ans, il se présenta à son bureau et se proposa pour l'accompagner. Assistant ou autre il s'en fichait. Mais évidemment McAllister l'envoya sur les roses -gentiment cela va sans dire-. Ce gamin était on ne plus motivé mais bien trop jeune pour prétendre rejoindre l'expédition qui se dessinait dans son esprit.
Les mots de l'ainé ne plurent pas au gamin qui n'eut pas d'autre choix que de tourner les talons et quitter le bureau, l'égo dans les chaussettes et la dignité brisée. Rageur. Blessé qu'on le prenne encore pour un gamin. Cette expédition c'était la chance de sa vie, et ce fichu McAllister, que savait-il de ses capacités ? Il venait des dures contrées islandaises, il pouvait survivre n'importe où.
Il se résigna mais ne s'avoua pas vaincu. Il se décida à voyager, trouvant que l'université, en admettant qu'il aille, pouvait attendre. Au lieu de revenir en Europe, il décida de s'accorder un périple en Amérique, qu'il parcourut de long en large, des étendues glacées du Canada au tumultueux Cap Horn. Puis il s'établit pour un temps en Amérique du Sud. Là-bas ils étaient moins regardant sur l'âge et Ölver intégra un groupe dont les membres étaient comme lui friands d'aventures.
La forêt équatorienne se révèla plus que fascinante. Et peut-être un peu trop dangereuse.
- Il fait quoi le gosse là dans son coin? Pourquoi tu tires cette tronche?
- Y'a eu un souci dans la dernière sortie.
Ölver avait le regard perdu et les traits tirés par la fatigue. Il se passa plusieurs heures avant qu'il ne décide à lâcher le moindre mot.
- Il a amené un groupe de touristes et ca a mal tourné.
Il n'y eut pas de victime mortelle mais des blessés graves, et le souvenir d'un épisode particulièrement traumatisant pour un jeune garcon. Il était responsable de ce qu'il s'était passé. A la dangerosité de la nature s'était rajoutée une erreur. Son erreur.
On ne le renvoya pas, on le confina à des activités sans la moindre responsabilité. Cela lui demanda quelques temps pour sortir de la léthargie dans laquelle l'incident l'avait plongé. Il finit par prendre le large et filer loin de cet endroit. L'impression qu'on le regardait de travers lui collait à la peau. On ne lui faisait plus confiance, et bien entendu, ce fut une réputation qui le suivit, Il songea l'espace d'un moment à rentrer chez lui, mais ce fut plus que son égo put endurer. Rentrant aux Etats-Unis il s'établit dans un coin tranquille.
Un matin il consultait le journal lorsqu'il reconnu des traits familiers imprimés entre deux articles de moindre importance. C'était McAllister. Avec toute cette histoire il l'avait quasiment oublié. A l'aube de ses dix-neuf ans, il attrapa son téléphone et chercha le numéro du professeur dans ses papiers.
McAllister fut dur à convaincre, mais la ténacité du jeune homme finit par payer.
On lui accorda sa chance, mais ce ne fut pas du goüt de tout le monde. Ölver n'avait jamais été un exemple de sociabilité mais l'épisode amazonien avait grandement effrité cette capacité à se mêler au reste. En six mois il passa plus de temps en dehors du village, à explorer la nouveauté, qu'à tenter de lier des liens avec le reste de ses compagnons, et ceux-ci le lui rendaient bien. C'était un gamin certes, mais au regard peu enageant et au passé trouble, plus une source de problème qu'un allié de poids.
Il s'en fichait. Ou du moins le prétendait. Oblivion trouvait tout de même grâce à ses yeux. Il ne songeait pas à rester pour toujours, non. Mais c'était l'aventure de sa vie et il ne voulait rien rater.