Au milieu de la forêt montagneuse, des chasseurs de la Promesse Solennelle trouvèrent le corps d'une mère enroulé autour de son nouveau-né qui respirait à peine. Personne ne savait d'où elle venait, on supposa qu'elle avait accouché toute seule, qu'elle était une étrangère et qu'elle n'avait pas survécu, si loin de son monde. Le bébé vécut et fut recueilli par les mêmes Chieresques qui l'avait sauvée. Elevée sans différence au milieu des autres enfants du foyer, elle portait leur nom, parlait leur langue, jouait à leurs jeux, connaissait leurs histoires.

Quand elle fut assez grande pour apprendre à chasser, elle partit avec ses parents et les plus grands enfants du foyer. Face à un lièvre qui ne la voyait pas, elle prit tout son temps pour préparer sa flèche et, sous le regard stupéfait de tout le monde, resta paralysée. Son échec était incompréhensible pour elle et, croyant tenir un semblant d'explication, ses parents lui avouèrent à ce moment comment ils l'avaient trouvée. Ils pensaient que même s'ils avaient mis tout leur cœur à la considérer comme l'une des leurs, ses origines la différenciaient trop des Chieresques et il y avait certaines choses qu'elle ne pouvait pas faire. Leï se sentit rejetée, sans chercher à savoir s'ils avaient tort ou raison, et partit en solitaire dans la montagne.

Livrée à elle-même, elle se nourrit tout d'abord de fruits qu'elle trouvait, puis de restes d'animaux morts avant de se remettre à chasser et, à sa grande surprise, d'arriver à abattre quelques oiseaux ou lapins. Elle pouvait retourner au campement, prouver à ses parents qu'elle n'était pas si différente, qu'elle pouvait suivre leurs traces, mais elle n'en fit rien. Elle leur en voulait et appréciait la solitude, au point de se cacher ou de fuir lorsqu'elle percevait un signe humain. Après presque un cycle, elle finit par quitter la montagne et rejoindre la jungle.

En arrivant au Petit Matin, elle raconta son quotidien d'ermite de façon tellement imagée qu'on lui demanda encore et encore, de détailler et de répéter son histoire. Histoire qui devint une légende, car elle se développait plus dans l'imaginaire que dans le réel, mais était appréciée de tous. Et Leï, qui était discrète, se sentait devenir quelqu'un d'autre quand elle se mettait à conter, prenait une assurance qu'elle n'avait pas tous les jours et vivait pleinement son récit. Elle était encore toute jeune, mais on lui confiait quelques enfants à surveiller pour la journée, tant elle pouvait les tenir au fil de ses mots.

Plus tard, elle se lia à un homme et ils fondèrent un feu-foyer sur un principe de paix, d'harmonie et de liberté, dont l'équilibre se renforça au fur et à mesure qu'il accueillait d'autres membres, adultes, puis enfants dont deux qu'elle avait porté. Acceptée au Petit Matin, elle ne reprit pas contact avec ceux qui l'avaient élevée, gardant toujours cette amertume au fond d'elle.