Et si je meure ici, je veux que tu saches que j'aurai tout fait pour te retrouver.

6 août 1990
Cher journal,
Je suis très heureux que papa m'ait offert un carnet aujourd'hui. Nous sommes donc le 6 août, et pour la première fois depuis longtemps, je suis en vacances avec mes parents et ma soeur. On voulait tous en profiter après qu'elle ait été opérée. Au début, sur la plage, je m'ennuyais beaucoup. Papa et maman ne s'occupait que d'Esther, mais ensuite papa est venu me voir et m'a donné tout un tas d'outils pour chercher des trésors. J'étais vraiment content. Depuis qu'Esther est née, les parents ont arrêté tous nos voyages, je m'ennuie à mourir à la maison. Mais là, j'ai retrouvé un peu le plaisir de fouiller. Au début, nous n'avons rien trouvé et au bout d'une demi-heure, tout s'est mis à biper de partout, nous avons creusé et j'ai trouvé ma toute première pièce antique ! C'est d'ailleurs pour ça que Papa m'a offert ce journal, il pense qu'ainsi, je pourrais garder une trace de mes découvertes. Il m'a dit que lui aussi en avait un. Je me suis juré qu'en rentrant à la maison, je fouillerais partout pour le trouver. Je rêve de lire toutes les aventures que lui et maman ont traversé, me plonger dans ses récits. Comme ça, ça me tiendra éloigner de l'ennui de la maison, et je cesserais de penser et repenser qu'Esther est la pire chose qu'il soit arrivée dans la famille.

20 septembre 1990
Ca y est, j'ai trouvé le carnet de Papa, il était caché dans son armoire, rien de bien compliqué. Mais j'étais vraiment déçu. Il était presque vide. En fait, il n'a noté que deux ou trois de ses excursions et il s'est arrêté ensuite. Je promets que moi, Alexandre Jean Delmas, je vivrais beaucoup d'aventures et je les écrirais toutes, noir sur blanc, afin que tout le monde puisse un jour les lire. Ce que je retiens le plus d'aujourd'hui, ce n'est pas ma capacité à avoir trouvé ce carnet, mais plutôt le fait que personne n'ait remarqué que je n'étais pas dans ma chambre en train de jouer, que personne ne se soit soucié d'où j'étais ni de ce que je faisais. Ils étaient tous les deux aux chevets de ma très chère petite soeur et se fichait pas mal de moi, je commence à être habitué. Je la déteste, plus que tout. Je voudrais que tout redevienne comme avant, que je puisse partir de cette maison, voyager. J'aimerai qu'elle ne soit pas là. D'ailleurs, une petite larme a coulé de mon visage quand j'ai eu fini de lire le journal de Papa. J'ai mouillé légèrement l'une des pages, j'espère qu'il ne s'en apercevra pas. Ca m'étonnerait qu'il lise encore tout ça, de toute façon...

4 septembre 1996
Cher journal,
Cela fait un moment maintenant, mais il faut que je raconte les récents évènements. Cela fait maintenant huit ans que je n'ai pas voyagé. Je n'ai trouvé aucune pièce depuis ce fameux jour, à la plage. Mais j'ai maintenant dix-huit ans et j'ai appris à faire avec. En effet, j'ai pardonné à ma soeur. Ce n'est pas de sa faute après tout. J'en veux surtout à mes parents de la surprotéger ainsi. Bien sûr, elle a été malade, il fallait veiller sur elle, mais elle a maintenant huit ans, elle n'a plus besoin qu'on regarde constamment ce qu'elle est en train de faire, comme si elle était encore une crevette dans son berceau. A son âge, je courrais déjà dans la boue, à chercher un vase enseveli sous la terre. Pour le moment, la pauvre petite ne connait que la ville lumière et la plage, bien que je doute qu'elle ait encore des souvenirs de ce jour-là. Je la plains. Je voudrais pouvoir lui faire découvrir le monde, mais nos parents refusent que je l'emmène. Mais de quoi ont-ils donc si peur ? Que sa maladie se contracte à nouveau ? Ils savent pourtant bien que tout est fini, que tout a été fini lorsque elle a eu cette opération. Je doute même qu'elle se rappelle qu'elle a eu des soucis de santé, jadis. Sujet tabou dans la famille, Esther ne saura sûrement jamais ce qui lui est arrivé. De toute manière, à quoi bon cela servirait-il sinon que de lui amener maintes et maintes questions. Tout ceci est révolu, à présent, il n'y aucune chance pour que sa maladie resurgisse de nul part, il vaut mieux enterrer tous ces souvenirs, finalement.
Enfin, mon journal, si j'écris aujourd'hui, c'est surtout pour débuter mon année à l'université. En effet, j'entre dans la prestigieuse école de Montpellier en égyptologie. Je suis plus que pressé de commencer ces cours. J'espère qu'ils prévoient un peu de pratique aussi, que je puisse aller sur le terrain, que ça me manque la fouille. Sans parler de cette collection de pièce antique que je n'ai toujours pas continuée. Un jour, je l'espère.  

20 juin 1999
Je n'ai malheureusement plus aucun mot. Ma vie devrait être accomplie. Après ma dernière année dans cette école, tout me sourit, j'ai des résultats exemplaires, je pratique beaucoup, je voyage un peu. J'écris souvent à Esther. J'avais été tellement heureux d'apprendre que mes parents reprenaient enfin leur activité. Un temple en Thaïlande, un cadre paradisiaque à explorer. Ils laissaient enfin Esther prendre son envol, il leur avait fallu onze longues années pour décider qu'ils pouvaient la laisser chez grand-mère et repartir. J'ai reçu l'appel de mamie ce matin même, mais j'avais déjà regardé les informations. Je n'avais tout simplement pas voulu y croire. Comment aurai-je pu croire en la mort d'Albert et Madeleine Delmas, mes parents. Toute ma vie n'avait été bâtie que sur ce qu'eux même avaient construit. Je ne calquais qu'un modèle. Je voulais leur ressembler, mener le nom Delmas en haut des archéologues les plus connus du monde, faire les découvertes les plus sensationnelles. Mais à quoi bon faire tant d'effort s'ils ne sont plus là ? Tout ça, c'était pour eux, maintenant ce ne sera plus qu'une mascarade douloureuse. Je n'ai plus d'envie, plus aucune envie. La seule chose que je veux faire, c'est retourné aux côtés d'Esther. Aujourd'hui plus que jamais, elle a besoin de moi.

27 juin 1999
Le train du retour. En arrivant à Paris, après avoir serré ma soeur et ma grand-mère dans mes bras, je n'ai pas pu m'empêcher de me rendre dans la chambre parentale, du moins lorsqu'elle l'était encore, de lire et relire le journal de mon père. Lire ses mots, son écriture, me rappeler les traits de son visage. Je suis resté des heures dans sa chambre, avant de me lever et de jeter le carnet contre le mur et d'enfin laisser parler toute la rage et la tristesse que je contenais depuis que j'avais appris la nouvelle. L'enterrement avait été une dure épreuve pour tous. Impossible de rester de marbre devant une telle perte pour ma famille et moi. Je regrette seulement de ne pas avoir pu leur dire au revoir, proprement. Un simple coup de téléphone avant qu'ils ne décollent, c'étaient les derniers mots que je leur avais adressés. Je n'aurai jamais pu me douter qu'une si grande tragédie arriverait, certes, mais j'aurai dû tout de même leur parler plus longtemps. J'entends encore la voix de maman dans ma tête "Prends soin de toi". Maman, si tu avais su, tu aurais plutôt dit "Prends soin d'Esther". Ce n'est que maintenant qu'il faut que je me mette à leur place que je comprends ce qu'ils ont enduré toutes ces années : le devoir de la protéger. J'étais décidé à prendre la garde de ma petite soeur. Qui d'autre pourrait endurer cette responsabilité ? J'étais sa seule famille, ma grand-mère était trop âgée pour la garder. Je me devais d'être là pour elle. Pas pour me rattraper de la haine que j'avais envers elle il y a quelques années, mais parce que c'est ma soeur, et que je l'aime. Elle est à présent tout pour moi. La voir cette semaine a été une bouffée d'énergie et si je comptais lâcher toutes mes études, Papa, Maman, je peux vous dire que ce n'est pas de si tôt que l'Egypte se passera de moi. Esther sera ma nouvelle motivation. Elle pourra voir à travers moi un éclat de votre passé. Je jouerais le rôle de père, de mère et de frère et à nous deux nous formerons la famille la plus unie qu'il soit. La famille Delmas. C'est une promesse que je compte bien garder. Je retourne donc à Montpellier, il ne me reste plus que quelques jours d'examens à passer, d'autres à rattraper dû à mon absence. Je compte bien l'avoir ce diplôme, pour eux, pour elle, il le faut.  

30 mars 2005
Je n'arrive toujours pas à croire qu'aujourd'hui, je prends l'avion et je m'envole enfin pour l'Egypte. Après tant d'années d'études, de formations, il est temps de commencer mes recherches.  Esther a 17 ans, elle peut tout à fait rester seule une semaine ou deux, je ne serai pas long de toute façon. Ce n'est qu'une petite mission de repérage avant de commencer nos vraies fouilles. Il est temps d'abandonner mes théories, et de les mettre à l'épreuve. Ce moment, c'est celui que j'ai attendu toute ma vie. Faire mes preuves, étudier ces pyramides de font en comble. Je brûle d'impatience.  J'aime aussi mon travail au Louvre, faire découvrir ma passion à tous ces gens, mais rien n'est plus excitant que de leur apporter de nouvelles connaissances, et c'est aujourd'hui que je vais enfin pouvoir la leur apporter.

24 avril 2010
C'est un énième voyage en Egypte, mais cette fois il faut que je parte un mois complet. Esther s'en sortira bien. Elle a vingt et un ans, elle se débrouille comme un chef et puis, avec son travail, elle n'aura même pas le temps de voir les jours passer. Comme à notre habitude, j'emmène un ordinateur pour que nous puissions rester en contact. Néanmoins, ce voyage me met mal à l'aise. J'ai entendu plusieurs rumeurs de disparition aux alentours des pyramides. J'ignore ce qu'il se trame mais je m'en fais pas pour moi. J'espère seulement pouvoir peut-être trouver le problème, c'est inquiétant tout de même. Je n'en ai absolument pas parlé à ma soeur, elle aurait été susceptible de m'empêcher de partir. En espérant qu'elle n'entende pas les informations. Heureusement qu'elle est plus branchée bouquins que télé. Ma petite soeur, prend bien soin de toi et je prendrais soin de moi.

8 mai 2010
J'ai voulu t'écrire, j'avais commencé cette lettre... Chère Esther, que tu me manques. Quatre jours que j'ai atterri là et je ne sais pas où je suis, je ne sais pas ce qu'il se passe ici. Je visitais encore une fois la pyramide de Giseh, et j'y ai trouvé cette porte. Elle semblait vieille et pourtant intact, comme si le temps n'avait eu aucun effet sur elle. C'était étrange et j'ai voulu assouvir ma soif de connaissance, encore une fois. J'aurai dû m'abstenir. Je suis entré dans un monde de non-retour. Est-ce le paradis ? Peut-être. Ce monde est si étrange, si mystique, et si merveilleux. On dirait que toute la beauté du monde s'est regroupé dans un seul et même endroit. Oui, je ne trouve pas d'autres mots : c'est merveilleux. J'avance seul dans une jungle hostile. Je doute savoir comment survivre ici, mais il va bien le falloir. Aucun moyen de revenir dans notre monde n'existe pour le moment, c'est ce que j'ai cru entendre. J'ai croisé le chemin de quelques explorateurs, eux aussi ayant trouvé la porte et s'étant retrouvé coincés ici. Certains sont là depuis plus longtemps que moi, je suppose que c'est ici que sont regroupées toutes les personnes disparues. Je dois tout faire pour revenir en arrière, je ne peux pas te laisser toute seule Esther. Si seulement je pouvais t'envoyer un message, un moyen de te dire où je suis. Si seulement tu pouvais lire ces mots. Je ne pense qu'à toi, toute seule et sans nouvelles depuis déjà quatre jours. Je passerai ma vie ici à essayer de trouver un passage, de revenir en France. Esther, si je meure ici, je veux que tu saches que j'aurai tout fait pour te retrouver. Certains parlent de clés à récupérer pour former un passage. Si tel est le prix à payer pour le retour, je les chercherai, et je reviendrai.

14 octobre 2013
Trois ans, trois ans dans ce foutu pays et je n'ai pas l'ombre d'un indice. Les journées se ressemblent toutes et je m'obstine à continuer mes recherches, je ne peux pas abandonner. Mais cette histoire de clé, je parie que ce n'est qu'une simple légende. Depuis le temps que tout le monde les cherche, quelqu'un aurait mis la main sur l'une d'entre elle maintenant, au moins. Je perds l'espoir et la force avec laquelle j'étais arrivé ici. Pour couronner le tout, je me suis rendu au Colosse de Rhodes il y a deux jours. En effet, ce monde, Oblivion, contient bien des mystères, le premier étant que les six merveilles du monde disparues se tiennent là, dans les fins fonds de la jungle. La septième existant toujours, aux côtés de la porte menant ici. S'il y a effectivement sept clés et sept merveilles, il doit exister un rapport, ça ne peut être une coïncidence. Je suis donc allé visiter l'une de ces merveilles, espérant trouver l'une des clés, comme j'avais tout autant espéré en visitant les cinq autres sites, et j'ai entamé ce que je sais le mieux faire, des fouilles. Toute la journée, jusqu'à ce que le crépuscule pointe le bout de son nez j'ai creusé sans relâche, partout, j'ai pisté chaque recoin de l'endroit mais rien, je n'ai absolument rien trouvé, j'ai cependant dû réveillé un quelconque esprit. Un éboulement s'est produit juste devant moi et je me suis retrouvé sous les gravats. Durant deux jours, j'ai demeuré là, dans l'incapacité de bouger ou de faire quoique ce soit. J'avais perdu toute force de crier au bout des premières heures, et je semblais être le seul à m'aventurer ici de toute manière. Et pourtant, deux jours plus tard une chieresque est arrivée et m'a aidé à sortir de là. Je n'emploierai pas le proverbe "plus de peur que de mal" j'y ai quand même laissé ma jambe droite, ce n'est pas rien. J'avance difficilement et je devrai maintenant limiter mes grandes aventures. Quel abruti. Si je n'avais déjà plus beaucoup de chance de pouvoir repartir d'ici et de pouvoir retrouver ma soeur, désormais c'était fini, tout était perdu.