“ histoire ”
«La vie est très intéressante. Certaines de tes plus grandes douleurs deviennent tes plus grandes forces»
J'avais eu une chouette enfance, quand j'y repensais...
Des parents aimants, une grande sœur que j'adorais... Elle était beaucoup plus âgée que moi et je l'admirais. C'était une violoniste hors pair et j'adorais qu'elle me joue des morceaux dans ma chambre, juste pour moi, pour m'aider à m'endormir.
Ces morceaux, cette douceur, ça me manquait encore, cruellement...
Elle était partie, bien trop tôt... On l'avait su de la pire des manières. Quoique ! Est ce qu'il existe vraiment de jolies manières d'apprendre ce genre d'horreur ?
C'était les flics, ils avaient sonné, ma mère avait poussé ce cri monstrueux. Ce hurlement primal que seule une mère ayant perdu son petit peut produire.
Ma sœur avait choisi son heure, choisi sa mort... Elle avait passé une corde autour de son cou gracile et avait laissé la gravité faire le reste.
Évidemment personne ne me l'avait dit en ces termes. Mais, je n'étais pas idiote, j'avais écouté les conversations, vu mes parents s'effondrer, ma mère surtout... C'était tellement incroyable, ce cri qu'elle avait poussé je l'entendais encore dans mes cauchemars.
Quelques mois plus tard mon père avait accepté un poste d'enseignant en Suédois dans une université française. Nous quittions notre pays, nos racines pour le pays de Voltaire. Mon père m'en vantait les mérites, ma mère elle n'arrivait même plus à feindre.
Ce fut un déracinement complet, au début je ramais. Je me raccrochais seulement au médaillon de ma sœur que je portais en permanence, j'essayais d'aller de l'avant et puis j'étais une enfant, la vie reprenait le dessus.
Je retrouvais peu à peu le goût des plaisirs simples, le plaisir du vent dans mes cheveux quand la balançoire s'affolait poussée par les bras de mon père.
J'aimais la musique mais elle était bannie à la maison, ma mère ne pouvait plus entendre un morceau de classique s'en s’effondrer, alors mon père me tourna vers d'autres formes d'art.
Je pris des cours de dessin, de sculpture... Et un jour, la révélation, il m’entraîna au Louvre.
Barbant pour une gamine, me direz vous ? Pas pour moi en tout cas... Ce lieu me faisait vibrer, je m'y épanouissais comme une fleur trop longtemps privée de soleil et d'eau.
C'était comme un baume sur la blessure ouverte qu'avait créé la mort de ma sœur. Mon père me prit un abonnement et m'y emmena souvent, très souvent. C'est un lieu que j'affectionne encore aujourd'hui.
Je grandis protégée par mon père et protégeant ma mère. J'étais une élève plutôt douée, sans histoire, sans beaucoup d'amis, je tenais les gens à distance. J'avais entendu ma mère expliquer, que c'était un homme, un jeune homme qui avait fait ça à ma sœur. Elle l'aimait et il l'avait tuée... Comme ça sans raison... Enfin bon pas vraiment peut être si je me montrais juste, il avait rompu et elle avait fait ce geste cruel... Sven Inarsson !
Mais je n'avais pas envie de me montrer juste ou magnanime. Détester ce type et le considérer responsable c'était mieux ! Plus facile, aussi peut être... Parfois la voie de la facilité n'est pas une mauvaise chose après tout.
J'eus mon bac sans trop de vague, et sans trop travailler non plus, je préférais lire, et dessiner... J'avais bien envie de faire de la musique, j'en écrivais même, mais toucher à un instrument me semblait être une trahison à sa mémoire et je m'en gardais bien, elle était sacrée à mes yeux.
Après ce fut la fac de psycho, et ma rencontre avec Antoine, le premier homme qui me donna envie de baisser ma garde, le premier qui fit battre mon cœur plus vite. Vous savez, cette sensation des papillons qui envahissent votre ventre, ces battements manqués, cette envie d'être belle et désirable...
Une belle histoire, des dîners, des cinés, des nuits interminablement délicieuses et sensuelles et puis la chute, cruelle.
Il me mentait, me manipulait, j'étais un jouet, son jouet... Cet enflure menait une tranquille double vie, à moins qu'elle ne soit triple ? Je n'étais pas faible, je refusais de me laisser abattre, de songer ne serait ce qu'une seconde à reproduire le geste de ma sœur. J'étais forte, j'étais trop valeureuse pour être traitée ainsi et il allait l'apprendre.
J'avais alors commencé à le traquer, le suivre, et j'avais appris qu'en plus de sa femme il avait aussi deux merveilleux bambins.
Tout s'accéléra quand sa délicieuse épouse déposa une annonce à la fac, elle cherchait quelqu'un pour des heures de baby sitting. Elle déposait son annonce en fac de psycho, pensant sans doute y trouver de gentilles gamines bourrées d'empathie. Je n'étais pas bourrée d'empathie, j'étais là pour comprendre plutôt, découvrir comment les rouages de l'esprit pouvait conduire à la folie.
Je postulais, avec mon plus beau sourire de façade et mon regard si doux. Une suédoise d'origine qui pourrait ouvrir les bambins sur le monde et blablabla...
Je me foutais des gamins mais il ne fallait pas que ça se voit. Cela fonctionna parce que trois jours plus tard elle m'appela. C'était le grand jour. Je m'habillais d'une jolie petite robe noire. Pas le moins du monde provocante, mais tout de même sexy, me maquillait avec soins et relevait mes cheveux d'un chignon que ce cher Antoine affectionnait défaire.
Je débarquais à l'heure prévue et madame Antoine m'expliqua qu'elle attendait son mari et qu'ils se rendraient à un dîner. Elle me montra le repas des enfants et tout un tas de choses, je faisais mine de l'écouter attentivement.
En fait j'étais concentrée sur la porte d'entrée et quand elle s'ouvrit je m'effaçais afin qu'il ne me voit pas tout de suite. Je le laissais embrasser ces chères têtes blondes, puis sa femme, dont il caressait amoureusement le dos. Avec ces mêmes mains qui quelques temps plus tôt me déshabillaient...
Finalement je toussotais, et madame Antoine se tourna vers moi avec un sourire pour me présenter à son mari. Alors je pris la parole tout en m'approchant doucement les yeux plantés dans ceux du jeune homme.
« Inutile de me présenter, n'est ce pas Antoine ? Tu connais suffisamment mon corps pour ne pas avoir oublié mon prénom j'espère ? »Je compris dans la seconde l'expression, « se liquéfier ». Il perdit toute couleur, toute substance et n'osa même pas regarder sa femme. Il était comme foudroyé et cette expression me fit du bien. Pour être certaine qu'il ne s'en sorte pas par un tour de passe passe ou un mensonge j'ajoutais des dates, des lieux, du concret, de la réalité à cette idylle. En parlant même du tatouage tribal en bas de son dos. Je ne regardais pas cette femme dont je venais de ravir le bonheur. Elle avait après tout le droit de savoir et même si c'était douloureux il valait mieux ça que le mensonge et la tromperie. Je quittais cette maison et décidais de ne plus accorder ma confiance.
Saine décision ? Pas vraiment c'est depuis un sacré handicap dans mes relations aux autres. En même temps mes études et mon métier ne me portèrent pas vraiment vers ce que l'humanité à de plus jolis.
Je devins Criminologue suivant un long cursus avec une partie de l'enseignement au Québec et j'intégrais ensuite la police. J'étais dévouée corps et âme à mon métier. Un lieutenant de police judiciaire traquant les crimes de sang. Les meurtriers en série ou meurtriers de masses. Il y en avait bien moins qu'au USA, et surtout l'état était très doué pour que ces affaires soient passées sous silence.
J'avais du boulot par dessus la tête et je m'enfonçais dans les noirceurs de l'âme humaine. Le pire c'était que j'aimais ça, j'adorais la traque, le sang, l'adrénaline, la peur.
J'aimais tellement ça que je me mettais en danger, intervenant seule, sans attendre les renforts, seulement armée de mon Sig Sauer, et de mon chargeur de rechange.
Cette arme ne me quittait que sous la douche, tout comme ma carte tricolore. J'étais fière de mon boulot, fière de traquer les criminels, même si je ne respectais pas toujours les règles pour les atteindre. Peu m'importait les moyens pourvus que je parvienne à mes fins.
Je bouclais des affaires mais malgré tout ma hiérarchie m'avait dans le collimateur, j'étais efficace, mais j'étais aussi dangereuse, un véritable électron libre, qui n'hésitait pas à menacer des suspects, à leur filer une frousse terrible pour obtenir du concret.
J'avais été prévenue, soit je me calmais, soit c'était la mise à pied...
Ce job c'était ma vie... Je n'avais que ça ! Triste constat à mon âge et pourtant véridique. La traque de ces pourritures c'était mon adrénaline, ce qui me faisait me lever le matin. J'avais soif de ce monde et ils ne pouvaient pas me l'enlever.
Le divisionnaire avait parlé de me mettre dans un bureau, que je donne mon avis de criminologue... Il voulait m'extraire du terrain ? Qu'il crève la gueule ouverte, jamais !
Toutes ces pensées et cette rage en tête j'avais automatiquement pris le chemin du musée cher à mon cœur. Le Louvre ce lieu qui apaisait mes souffrances...
Ce fut ce jour là, le premier jour du reste de ma vie... Une vie nouvelle, qui bascula en un souffle... En Oblivion !