La zone du Secret des songes pouvait se montrer particulièrement dangereuse pour qui s’y aventurait sans en connaître les mystères. Au bout de vingt années à les arpenter, je savais exactement comment m’y déplacer sans risque et je disposais toujours un tissu imbibé d’une solution d’anémones pour protéger mes voies respiratoires au cas où l’air soit saturé de pollen.

Ayant épuisé mes réserves de plantes, j’allais devoir passer un long moment dans les lieux. Je commençais ma cueillette par la camomille, plante assez commune que l’on trouvait en abondance. Je me rendis ensuite sur le lieu de pousse des buissons d’aubépine. Ceux-ci étaient en pleine floraison, ce qui était une aubaine pour ma cueillette mais avec le désavantage de dégager un fort parfum et beaucoup de pollen à chacun de mes mouvements faisant agiter les branchages. Je poursuivais ma récolte avec de la sauge, du gui, du pavot et de la bardane.

Pour trouver les plantes restantes, je devais traverser la zone à travers une vaste étendue fleurie. Bien que fort belles et colorées, ces fleurs n’avaient que peu d’intérêt médicinal. Le vaste champ coloré s’ouvrant devant moi n’augurait rien de bon face aux parfums et aux pollens hallucinogènes qui attendaient le promeneur imprudent. Après le ramassage intensif que je venais d’effectuer, je savais que ma protection allait bientôt arriver à saturation mais j’avais trop besoin des racines de valériane et d’éleuthérocoque pour rebrousser chemin.

Tandis que je traversais la plaine fleurie, je vis sur ma droite une petite fille à peine plus haute que les végétaux environnants. Que pouvait-elle bien faire par ici ? Lorsqu’elle m’aperçut, elle vint jusqu’à moi et s’agrippa à ma robe. Elle baragouina quelques mots que mes rudiments d’anglais me permirent de comprendre.
Oui, ce sont des fleurs de toutes les couleurs.
Rose ! Jaune ! reprit-elle de plus belle.
Je ne pouvais pas la laisser dans cet endroit, l’air saturé des pollens risquait d’endommager son système nerveux encore fragile.

C’est alors qu’une autre étrangère apparut. Elle ne semblait pas très en forme et jetait des regards partout comme si elle cherchait quelque chose ou quelqu’un ; certainement la petite toujours agrippée à mes jambes.  Elle me dévisagea d’un air étrange, ferma les yeux, les rouvrit me regardant comme si elle s’attendait à une quelconque transformation de ma part.
Euh… elles sont pas toxiques ces fleurs au moins ?
Vu les clignements de ses yeux et la dilatation de ses pupilles, cette jeune femme tout juste sortie de l’enfance était proche de l’état de transe. Il allait donc falloir que je gère deux étrangères dont une en bas âge et l’autre en proie aux hallucinations ; c’était bien ma veine…
Je m’approchais doucement, me voulant rassurante et  tendant la main vers elle pour essayer de canaliser son attention :
Elles ne sont pas toxiques mais…