''l'enfant sauvée des flammes"

Les Chieresques n'imposent jamais rien à leurs enfants ; mais parfois, certains sont appelés à des destinées d'exception. Sila'ë fait partie de ceux-là. Née une nuit de pleine lune sur les hauteurs du Glacier Solennel, elle a vu le jour au milieu d'un incendie tragique qui coûta la vie à ses parents. C'est une enfant du campement qui la sauva - l'un de ses pères, gravement brûlé, la tendait à travers les flammes au lieu de la poser pour s'enfuir, et c'est l'enfant qui l'attrapa et l'emmena loin du brasier. Miraculée, avec seulement une brûlure sur l'épaule, le bébé se remit du choc doucement, confiée aux bons soins d'une autre famille.

Quelques mois plus tard, l'arrivée d'une femme, âgée mais encore forte, stupéfia le campement. La Gardienne des Traditions, aussi crainte que vénérée, venait réclamer la miraculée comme destinée à lui succéder, et personne ne s'y opposa. En nourrice pendant deux années, l'enfant partit ensuite avec la vénérable aïeule, suivre son apprentissage au temple de Chierà'h. Là-bas, elle côtoya les Prêtresses, et commença son long cheminement vers la perfection. Gardienne des Traditions, c'est un poids, et un honneur : la plus sacrée de toutes les danseuses, elle inspire et elle enseigne, elle décide et elle arbitre, elle conseille et elle réconforte. Garante de la mémoire, elle apprend les chants et surtout les danses rituelles qui permettront de transmettre l'histoire chieresque aux futures générations ; et Sila'ë aime cette responsabilité.

Protégée parmi toutes, elle n'est pas censée se battre ; mais une attaque d'un groupe d'Egarés hostiles contre le temple de Chierà'h la força à prendre les armes aux côtés de celles des Prêtresses formées aux armes du combat, et elles tinrent à distance les envahisseurs le temps que le secours arrive du campement le plus proche pour les repousser. Hélas, son instructrice perdit la vie au cours de l'affrontement, et Sila'ë se retrouva Gardienne des Traditions bien trop tôt, âgée à peine de vingt-cinq ans. Elle s'en retourna à l'Etoile de Glace panser les plaies de son âme.

La nouvelle de l'arrivée des Orphelins lui parvint via un message d'une des Prêtresses du Petit Matin ; et elle répondit à l'invitation, descendant de sa montagne pour rencontrer ce groupe conséquent d’étrangers qui rompt la tradition. Il est peut-être enfin temps pour elle d'aller de l'avant...

des souvenirs ravivés

Trahie par ce peuple que l’on avait accueilli. Oblivion n’était pas une terre d’accueil. Oblivion était emprunt à de nouveaux risques insoupçonnés. Sila’ë maudissait ces maudits étrangers qui bafouaient les traditions vieilles de plusieurs millénaires. Le Refuge du Petit Matin avait ouvert ses portes à ces étrangers avares et égoïstes. Tendus leurs bras, partageant leurs efforts dans la construction du Village Suspendu des Orphelins. Profanation. Destruction. Sila’ë était descendue de ces monts neigeux, de l’Etoile de Glace pour mettre des images, des visages, des noms sur ces étrangers à la recherche de leur proche. Sila’ë n’était pas totalement fermée à leur présence, elle était convaincue que certains devaient avoir un cœur pur. Ceux qui prendraient les armes aux côtés des chieresques, défendant bec et ongle le Temple de Chierà’h comme si c’était leur culture, leur vie qui était mise en danger. Ceux qui ne se laisseraient pas dicter par leur envie de voler la Pierre des Souhaits. Ceux qui feraient preuves de bienveillance à l’égard de Mère Nature. Ce n’était clairement pas le cas de tous ces êtres venus d’ailleurs. Les chieresques avaient toujours été préservés des autres, vivants reclus. Équilibre. Mère nature. Les chieresques étaient en symbiose avec la nature, les Prêtresses entendaient les paroles de notre Mère depuis la nuit du temps, ils avaient jamais fais face à une menace comme celle-ci, si grandissante. Le mur d’enceinte avait été dévasté. Les souvenirs de Sila’ë refaisait surface. Ce n’était pas la première fois que le Temple était attaqué, la dernière fois c’était son mentor, la Gardienne des Traditions qui était partie beaucoup trop tôt. La flamme de son cœur s’était éteinte prématurément, laissant Sila’ë démunie face à sa tâche de transmettre les Traditions des Chieresques à travers les âges et les temps.  Elle était à genou au centre des Sept Piliers, méconnaissable. Ses voiles étaient salit, déchirés. Son visage grave et fermé. A nouveau impuissante face à la fureur des sauvages. Un poignard à ses genoux tâché de sang. Les mots de sa protectrice raisonnaient encore à ses oreilles comme quoi elle n’était pas censée se battre mais, que parfois… même la Gardienne des Traditions était contrainte de rompre avec les Traditions les plus solennelles.

De nombreux aprioris au sujet de ces inconnus qui considéraient Oblivion comme terre conquise hantaient les pensées de Sila’ë. L’attaque du Temple ne faisait qu’approuver ce qu’elle pensait déjà – ils étaient dangereux pour l’équilibre céleste instauré depuis des siècles en Oblivion. Si rien n’était fait alors la voûte céleste s’effondrerait, plongeant par la même occasion Oblivion dans un chaos infini et interminable. Silä’é se sentait responsable de tous les chieresques, de leur destin, de leur avenir. Détentrice de la clé de leur passé. Maîtresse des traditions. Dansant pour faire perdurer leurs histoires. Il était de son devoir de protéger cet héritage ancestral qu’on lui avait légué. Elle, l’enfant sauvée des flammes. Elle, la miraculée. Elle, qui sur son épaule portait une cicatrice plutôt que les chevrons – clé de la porte d’Ishtar qui permettait de quitter Oblivion. Etait-ce un signe ? Sila’ë était totalement hostile au désir de vouloir quitter Oblivion pour découvrir de nouveaux horizons. Elle jugeait les étrangers trop nombreux désormais, si les premiers d’entre eux s’étaient parfaitement intégrés à leur mode de vie – ce n’était plus le cas aujourd’hui. La preuve était là sous ses yeux, ses cheveux, tombant sur ses yeux, sali par la terre, le Temple avait été profané. Que des étrangers foulent le sol d’Oblivion tout en respectant les souhaits de Mère Nature, cela ne dérangeait pas Sila’ë qui voyait bien tous les progrès que les chieresques pourraient faire à leurs côtés. Mais, ils étaient différents. Ils n’étaient pas comme les chieresques. Ils ne respectaient pas les traditions. La porte du Temple était toujours restée close à l’approche des étrangers, ils étaient ignorants de leurs uses et coutumes. Silä’é frissonnait rien qu’à l’idée de voir leurs pieds foulaient ce sol sacré, bénit par Chiere. Elle était venue voir la situation dans la Jungle Infinie, voir si ce qu’elle avait entendu était vrai. Elle en avait déjà assez vu pour ce faire une idée très claire sur la question. Son bras saignait, sa blessure était loin d’être mortelle. Elle avait vu ses sœurs tombées. Elle avait vu ses frères, courageux et braves trépassés face à ces Égarés Renégats. Au début, en écoutant les habitants de Petit Matin elle s’était adoucit au sujet de l’arrivée des Orphelins. Là, elle avait beaucoup de mal à croire qu’ils étaient venus dans un but philanthropique.

La Gardienne des Traditions pleurait les vestiges du Temple, pleurait les enfants de Chiere tombés au combat. Elle n’avait pas le cœur à partager son enseignement ancestral avec ces étrangers qui ne le méritaient pas. Les Prêtresses chantaient l’histoire de ce joyau ancestral : la Pierre des Souhaits. Elles racontaient l’attaque de ces Égarés que rien ne pouvaient arrêter. Elles dansaient la fureur qu’elles avaient vu dans leurs yeux, assoiffés par leur cupidité de dérober cette pierre sacré et tant protégée. Sila’ë voyait d’un mauvais œil que l’on dévoile, ainsi, un tel secret mais, de nombreuses questions avaient été soulevées. Apporter des réponses était inévitable. Elle s’était éloignée du groupe, de quelques pas, rassemblant ses pensées éparses et son jugement. Dansant pour elle-même. Dansant pour ceux à qui l’on avait ôté la vie. Dansant pour réunir les forces nécessaires pour vaincre ceux qui avaient osé profaner le Temple de Chierà’h. Dansant pour affronter la vie telle qu’elle est réellement. Dansant tout en espérant se tromper au sujet des étrangers. Dansant en souhaitant que leur volonté soit plus forte que leur cupidité. Dansant pour préserver un semblant de dignité. Dansant pour masquer sa peur. Dansant pour la bataille à venir. Plus tard, elle le savait elle devrait chanter les louanges de ces guerriers tombés au combat, de ces enfants retournés se blottir dans les bras de Chiere.
 

 

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