Je m'appelle Sidil Aeriel, mais on m'appelle plutôt Sidil. J'ai 31 ans. Je suis née à Lame de Foi, en Oblivion. Je fais partie du groupe des Chieresques. Oblivion, c'est ma maison, et je suis à la fois forgeronne et murmureuse. Ces étrangers, pour moi, c'est un mystère. Certains parmi eux semblent être des gens bien, mais rien ne m'empêche de penser que d'autres sont les incarnations du malheur. Je me méfie de la plupart d'entre eux, on ne sait jamais à quoi s'attendre.

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   Les yeux mi-clos, j'observais l'acier liquide briller doucement à la lumière éclatante des fournaises enflammées. La lame se découpait avec une extrême netteté dans l'argile dur qui lui donnerait sa forme. Bientôt, quand le métal serait solidifié, il me faudrait briser le moule et frapper la lame, la polir, écouter son chant et lui murmurer des prières. Telle une mère donnant vie à l'enfant, je donnerais vie à ce qui serait bientôt une épée, j'en ferais une arme à part entière.
C'était cela, forger, c'était plus qu'abattre le marteau sur l'enclume, c'était conférer à la lame une existence propre, c'était la doter de propriétés uniques et de capacités certaines. C'était laisser une part de soi en chaque réalisation, pour que cette part fasse de l'objet un objet unique. Une lame est autant porteuse d'histoires et de promesses qu'un être humain. Quiconque ne sait pas cela ne pourra jamais être doué pour les forges.

Douée, je pense l'être, en toute objectivité. Je sais reconnaître mes torts - quant à les corriger, c'est une autre affaire... - mais je sais reconnaître mes forces tout autant. Et la forge est une force, la forge est ma force. L'essence de mon existence, son sens le plus absolu. Ma manière bien personnelle d'honorer Chiere, la Mère. L'essentiel des femmes portaient leur enfant en leur sein, le mettaient au monde, reproduisant là le cycle de la vie. C'était un cycle semblable que j'accomplissais lorsque je forgeais un objet, fut-il lame, éperon ou ustensile de cuisine. Lorsque je donnais vie à la lame comme c'était le cas à présent, chaque coup porté sur l'acier résonnait contre les parois de mon crâne, comme un écho infini de cette nuit ou moi-même étais venue au monde, dans le silence le plus total. Sidil, la murmureuse. Sidil, celle qui était née dans le silence, celle dont la mère avait accouché sans un cri. Sidil Aeriel, céleste, sans doute un hommage au ciel plein d'étoiles qui fut l'unique témoin de mes premiers instants de vie. De mes deux pères, j'avais appris à forger. D'une de mes mères, j'avais appris à murmurer. Et depuis trente-et-un cycles, Lame de Foi me semblait évoluer avec les forgerons, dans cette chaleur étouffante où je me sentais moi-même. Pleinte et entière. A ma place légitime. Plus vivante que jamais. Le plateau dénué d'arbres, tous étant utilisés pour les combustibles, les yourtes, le vent coupant, tout ceci était mon univers. Et les flammes enragées, le feu et la glace mêlés, le secret de l'acier, le murmure des serments, le scintillement des gemmes venues tout droit de Glorieux Crépuscule, les muscles raidis par le travail acharné et l'âme reposée par la satisfaction du travail accompli dans les règles d'un art unique et ancestral... Existe-t-il seulement des mots assez forts pour décrire tout cela ?

D'aucuns me disent difficilement déchiffrable. On me fait la réputation d'une femme passionnée, mais âpre, secrète, taciturne et sauvage, une femme peu comprise de sa communauté, mais très respectée par ses pairs, au delà des limites de Lame de Foi. Sans doute est-ce vrai. Ma nature ne me porte pas à aller vers les autres, à sourire et à plaire, mais à rester en retrait, à garder pour moi seule mes pensées, et à faire de mon métier ma vie entière. Pourtant je dirais ceci à celui qui souhaiterait me comprendre : d'extérieur, je suis comme le ciel étoilé qui m'a vue naître, sombre et froide, belle parfois, lointaine toujours. Mon coeur toutefois est comme ces forges auxquelles j'ai consacré mon existence : passionné, enflammé, prompt à s'embrasser. Je suis comme l'acier, de feu et de glace.
Et je continuerais à l'être, jusqu'à mon dernier souffle. Pour forger l'acier, il faut devenir à la fois l'acier et la forge. A bon entendeur, salut.