Son bras traversait l'épais rideau d'eau et la cascade le heurtait, le frappait avec sa force. Elle était si puissante et à la fois si belle et si claire, l'impressionnante chute qui enchantait la montagne. Ayla n'était cependant pas venue pour l'apprécier, ce qu'elle cherchait se trouvait derrière et la limpidité de l'eau rendait sa cueillette plus aisée car elle apercevait parfaitement les feuilles rouges délicates, qui faisaient l'objet de son voyage, avant d'y plonger le bras entièrement. Cette plante ne se trouvait pas facilement. La guérisseuse soupçonnait cette mystérieuse cascade de favoriser son développement, mais elle avait tout de même dû monter très haut pour finalement entrevoir quelques pousses écarlates à travers l'eau cristalline.

Une corde de liane accrochée au sommet la maintenait au dessus du vide, elle la saisissait d'une main et s'appuyait avec ses pieds sur une large branche surgissant de l'eau. Habituée des expéditions périlleuses, Ayla n'était pas effrayée, au contraire, escalader des sommets ou fouiller au fond des grottes pour trouver l'ingrédient tant recherché étaient des aspects de son métier qui l'exaltaient. Aussi, le nombre de blessés dont elle avait dû s'occuper dernièrement faisait de cette aventure en solitaire une vraie délivrance.

Ce fut en redescendant, après avoir emporté avec elle le plus de feuilles possibles, qu'elle constata qu'elle n'était pas si seule qu'elle le pensait. Après avoir posé le pied à terre, elle serait forcée de vivre une situation qu'elle redoutait depuis longtemps : se retrouver en tête à tête avec Ambal Sajor.

L’eau cristalline de la cascade de cristal, un lieu où j’aimais me recueillir. M’arrêter un instant, n’entendre que le bruit de l’eau, les gouttes qui ruissellent contre les rochers. Le courant entraîne mes pensées. Et l’eau chante avec moi. Au bord de l’eau, je prends le temps de sentir l’air sur mon visage. L’eau froide sur mes pieds. Tout est calme. Petit Matin est devenu bruyant, il y a beaucoup de monde là-bas, trop pour pouvoir aisément se reposer. Je ressens le besoin de m’éloigner de cette cohue, avoir des moments de silence, de fusion avec la nature. Ne pas oublier qui l’on est et d’où l’on vient même si notre culture est envahie par des habitudes étrangères.

J’entends des bruissements de feuilles, en me relevant je vois Ayla La’Hir descendre de la cascade. La guérisseuse est à moitié mouillée. Je reste neutre en la voyant,  j’aurai préféré rester seule. D’un geste souple, marque des chasseurs je la salue qu’il se doit. Depuis l’abandon de ma famille, nous nous sommes peu parlées. Je l’évitais, elle aussi dans un sens. Je crois que nous étions mieux l’une loin de l’autre. Toutefois, machinalement et parce qu’au fond, même si je lui en veux, je sais qu’Ayla est une bonne personne, je lui propose mon aide.

«  Tu as besoin d’aide guérisseuse ? Tu prends des risques... » Escaladait la cascade pour recueillir des fleurs rares, je suis impressionnée. Je ne la savais pas capable de faire cela.

Ayla ne pouvait pas prétendre ne pas avoir vu Ambal qui s'adressa à elle avec une gentillesse inattendue. Elle lui proposait de l'aide et, loin d'être vexée, la guérisseuse apprécia de voir la jeune femme aussi concernée, peut-être même inquiète, par son ascension périlleuse. Mais quand bien même elle était touchée de l'attention que la chasseresse lui portait, Ayla n'en était pas à son coup d'essai et répondit avec une certaine assurance :

« Merci beaucoup, mais je sais comment m'y prendre ! »

Il n'y avait pas une once d'amertume dans sa voix mais pour dissiper toute ambiguïté, elle ajouta :

« C'est très gentil à toi de t'en inquiéter. »

Ambal était-elle convaincue de la sincérité d'Ayla ? La prêtresse n'en était pas sûre mais n'en dit pas plus. Ce jour-là, comme tous ceux qui avaient suivi les fêtes de Chiere, elle portait le présent qu'elle avait reçu d'Ambal. Ce sac était particulièrement adapté à cette situation, elle y savait son matériel en sécurité et avait de la place pour emporter tout ce dont elle avait besoin.

« Merci encore pour ton cadeau... Ce sac est vraiment très pratique, en plus d'être joli. »

Elle prit une grande inspiration, cette discussion devait arriver tôt ou tard.

« Je sais que tu m'en veux... C'est... c'est pour ça que c'était assez surprenant que tu m'offres quelque chose. Je ne sais pas si ça va changer quoi que ce soit entre nous... Mais j'aimerais bien... J'aimerais bien que tu comprennes...»

Sur le moment, je trouvai Ayla assez agressive mais pour l’avoir longtemps observée, pour jauger ses faits et gestes, ses états d’âmes, comprendre qui elle était dans le fond : elle m’avait parue être une femme indépendante, qui savait ce qu’elle faisait. Elle me le prouvait aujourd’hui. J’avais de la rancœur et je me souvenais de chaque instant passer à hurler plus fort qu’Ayla pour me faire entendre, pour me faire comprendre... en vain. Avec le recul, je comprenais les agissements d’Ayla et je relativisais mais, je ne pardonnais pas pour autant. J’étais prête à m’occuper de ma fille, corps et âme quoi qu’il allait m’en coûter.

« Ah ! Tant mieux ! » dis-je en souriant. Je ne voulais pas de querelle, pas de conflits. J’en voulais à Ayla, je tentais pas à pas d’enterrer la hache de guerre que je brandissais sur elle.

« Je comprends. » Je marquais un arrêt, enfin ma définition du mot ‘comprendre’ n’était surement pas la même qu’elle... « Je voulais aller à l’encontre de la volonté de Chiere et vous entrainez avec moi, je comprends que tu ai du refuser. »  Le ‘vous’ je pensais à Ayla, à la passeuse d’âme, à Shael, à Maura - toutes les personnes qui n’ont pas compris, qui n’ont pas pu comprendre. Elles ne sont pas mères, elles n’ont pas porter un petit être en elle, elles n’ont pas soufferts pour le mettre au monde... Je pensais qu’Ayla comprendrait mon malaise. Elle, plus que nul autre.